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L'accord sur le partage de la valeur, gadget ou progrès pour les ... - La Croix

► Le salaire ne sera pas cannibalisé

Thibault Lanxade, ancien vice-président du Medef (2015-2018), auteur d’un « manifeste pour un nouveau partage de la croissance »

À mes yeux, le partage de la valeur n’est pas un gadget. Je ne crois pas au risque de cannibalisation des salaires par les mécanismes de partage de la valeur. Les entreprises sont organisées pour veiller aux questions de salaire autour du dialogue social, que ce soit par les négociations annuelles obligatoires ou les minima de branche. Le partage de la valeur repose sur la création de valeur, et sur le fait qu’une entreprise performe et redistribue un surcroît de cette valeur.

Ainsi, il faut se féliciter de l’accord trouvé par les partenaires sociaux, et que le dialogue social ait fonctionné. On retrouve dans l’accord l’obligation pour toutes les entreprises, hormis celles de moins de 11 salariés, de mettre en place un dispositif de partage de la valeur, avec pour condition que leurs résultats soient positifs. C’est normal : une entreprise ne peut redistribuer de la valeur que lorsqu’elle en crée. Elle ne peut pas donner plus d’argent qu’elle n’en a. Mais en réalité, quand il est inscrit dans l’accord qu’il doit y avoir une redistribution si le résultat net fiscal est supérieur à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois ans, on ratisse large. Le résultat net moyen d’une entreprise se situe autour de 15 % du chiffre d’affaires. C’est une vraie avancée.

Le deuxième point à souligner concerne l’obligation pour les grandes entreprises, lorsqu’elles ont des résultats qu’elles qualifient d’exceptionnels, de renégocier l’intéressement ou la participation afin de redistribuer davantage aux salariés. C’est probablement ce dispositif qui fera l’objet de discussions sur la façon de le transposer dans la loi. Mais la première ministre Élisabeth Borne a été très claire sur le fait que, s’il devait y avoir un renforcement de l’accord, cela se ferait avec l’accord des partenaires sociaux.

Il y a enfin les discussions autour de la prime de partage de la valeur. Contrairement aux autres dispositifs, elle ne repose pas sur une formule, comme la participation, ou sur des objectifs fixés, comme l’intéressement. Mais elle répond à une situation exceptionnelle : la crise de pouvoir d’achat liée à l’inflation en ce moment. On peut imaginer comment mieux l’encadrer dans le futur.

Il faudra mesurer les résultats de ces nouveaux dispositifs dans le temps. L’objectif de passer de 50 % à 75 % de salariés couverts par un dispositif de partage de la valeur est réaliste. C’est le but qu’il faut atteindre. Il est prévu que cet accord soit expérimenté durant cinq ans : c’est à l’issue de cette période qu’on pourra tirer les premières conclusions. D’ici là, il faut laisser cohabiter les différents mécanismes, laisser de la souplesse et de la flexibilité aux chefs d’entreprise et compter sur la vigilance de ces derniers. C’est ensuite qu’on pourra voir s’il y a des effets de cannibalisation, ou des choses qui ne fonctionnent pas.

► C’est un jeu de dupes pour les salariés

Henri Sterdyniak, économiste, animateur des « Économistes atterrés »

Je perçois en effet cet accord sur le partage de la valeur comme dangereux. Le problème, c’est qu’il incite les entreprises à distribuer des revenus extra-salariaux via la participation ou des primes, ce qui les dispense de payer des cotisations sociales. Cela crée un phénomène de « passager clandestin » : plus les entreprises rémunèrent leurs salariés de cette façon, en augmentant la part variable de leur rémunération au détriment de leur part fixe, moins elles paient de cotisations sociales. Or le volume des prestations maladie, retraite et chômage dépend du volume de ces cotisations. Cet accord va donc à l’encontre du mécanisme de solidarité que permet la Sécurité sociale.

Les patrons et certains syndicats se sont mis d’accord, mais cela ne veut pas dire que cet accord est justifié ou légitime. Il donne la possibilité aux patrons de faire des promesses d’intéressement à leurs salariés, de leur verser des primes, au lieu d’augmenter leurs salaires. C’est un jeu de dupes, car les revenus extra-salariaux ne donnent pas droit à la retraite ou au chômage, par exemple. Les chefs d’entreprise s’en tirent donc à bon compte.

Quant aux syndicats qui ont signé l’accord, ils se disent qu’il vaut mieux obtenir de petits avantages que rien du tout. Une mesure évidente serait pourtant de restaurer l’indexation de la plupart des salaires sur les prix. Car les salaires ne suivent pas l’inflation, ce qui cause des pertes de pouvoir d’achat. Il aurait aussi fallu permettre aux salariés d’intervenir plus directement dans la décision des entreprises, mais l’accord négocié ne va pas dans ce sens.

Par ailleurs, il faut prendre un peu de recul. À terme, les entreprises ne doivent pas être gérées dans une optique d’augmentation de leurs profits, mais dans une optique de planification écologique. Les entreprises qui font des profits exorbitants ne doivent pas les redistribuer aux salariés, c’est stupide. Ces « superprofits » doivent être combattus ou récupérés par l’État pour financer la transition écologique.

Le principe du salariat, c’est qu’il permet de bénéficier de revenus fixes pour emprunter auprès des banques par exemple, acheter un logement et pourvoir aux besoins de sa famille. Ce principe des salaires fixes est primordial : ils ne doivent pas être soumis aux fluctuations de la conjoncture économique ou aux performances de l’entreprise.

L’actionnaire peut se permettre de prendre un risque parce qu’il doit placer un capital pour espérer en tirer un bénéfice. Le salarié, lui, n’est pas supposé prendre des risques. Or l’intéressement et la participation font du salarié un actionnaire. Les dispositifs mis en place dans l’accord font donc des salariés les complices de la financiarisation de l’économie.

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