« Pouvez-vous quitter votre poste en plein mandat, et comment ça se passerait si vous le quittiez ? » Cette question n’a pas été posée à Emmanuel Macron par un journaliste, mais par Mélina, une élève en classe de quatrième, invitée par la revue pour enfants Pif, le mag à interviewer le président de la République sur l’actualité du moment. Paru en kiosques dans le numéro de ce mercredi 29 mars, l’entretien avait été réalisé durant le mois de février. L’échange avec les jeunes lecteurs du magazine intervient à l’occasion du 75e anniversaire du média, qui a connu durant les années 1970 et 1980 un important succès auprès de toute une génération.
Le choix fait par l’équipe de communication de l’Élysée de laisser s’exprimer Emmanuel Macron dans ce média peut surprendre. Le Président s’était jusqu’alors contenté d’une interview télévisée au JT de 13 heures de TF1 et de France 2 le 22 mars dernier comme seul passage médiatique depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. Dans le contexte social explosif du moment, son interview dans Pif, le mag paraît d’autant plus décalée, au vu de la longue proximité politique du magazine avec le Parti communiste français (PCF).
Valeurs communistes, décoloniales et internationalistes
Pour comprendre ce que représentait Pif Gadget à la fin des Trente Glorieuses, il faut avoir à l’esprit les chiffres du tirage du magazine, parfois imprimé jusqu’à un million d’exemplaires. Destiné aux enfants, le journal est l'héritier d’un autre titre, le magazine Vaillant, qui s’inscrivait lui-même dans la tendance communiste. Au sein de cette revue, on suivait déjà les aventures de Pif, un chien héros d’une bande dessinée d’abord créé en 1948 pour le journal L’Humanité, organe officiel du PCF. Vingt ans plus tard, en 1969, Pif Gadget naît et prend la place de Vaillant dans les kiosques ; la proximité du journal avec le PCF, elle, n’est pas rompue.
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Le journal appartient dès sa création à des groupes d’édition rattachés au parti de Georges Marchais, même si le PCF n’en est alors pas officiellement propriétaire. « Mais les actionnaires de ces maisons d’édition sont des membres du Parti communiste », explique à Marianne le chercheur Maël Rannou, auteur de l’essai Pif Gadget et le Communisme, 1969-1993, un hebdomadaire de BD et ses liens avec le parti communiste français (PLG, 2022). Mais dans les pages de l’hebdomadaire, on ne retrouve ni d'interview de Georges Marchais, ni la retranscription des paroles de « L'Internationale » : la promotion de l’idéologie communiste se veut bien moins frontale.
Au-delà du jouet offert lors de la parution de chaque numéro, Pif Gadget propose surtout dans ses pages de nombreuses bandes dessinées. C’est à la lecture de ces différentes séries que l’on peut remarquer l’accointance particulière du journal avec les valeurs « communistes, décoloniales et internationalistes », souligne Maël Rannou. À partir de 1970, la publication dans le magazine de la série Docteur Justice, qui relate les exploits d’un justicier spécialiste des arts martiaux, témoigne par exemple de cette vision du monde. « Docteur Justice est un héros scientifique et internationaliste. Dans la BD, il se rend auprès de peuples étrangers et dénonce la corruption des puissants, de l’industrie pharmaceutique, des États qui détournent l’argent contre les pauvres… Par rapport aux discours de charité des revues d’inspiration catholique [publiés à la même époque], c’est un discours très fort. » D’autres bandes dessinées publiées dans Pif Gadget, comme Cogan ou Masquerouge, contribueront à défendre cette idéologie au sein du magazine jusqu’à sa première disparition, en 1993.
Défense d'une culture populaire
Le magazine promeut une culture populaire à la française, à l’opposé de la ligne éditoriale américanisée du Journal de Mickey, un des concurrents de l’époque. Contrairement à d’autres titres jeunesse comme Spirou, Pif Gadget est aussi l’une des seules revues à offrir à ses lecteurs des histoires entières, sans nécessité d’acheter un nouveau numéro pour connaître la fin d’une intrigue. « Tout en récits complets », promet d’ailleurs le slogan du magazine à son lancement. Dans les quelques encarts rédigés du magazine, il arrive parfois d’évoquer des thèmes plus sérieux : l’histoire, le travail, la science… Mais toujours à hauteur d’enfant : « en 1989, pour le bicentenaire de la Révolution française, Pif Gadget va revenir sur cet événement historique pendant un an et demi et parler de ce que c’est que l'oppression… Mais toujours en prenant l’angle de la vie des enfants », commente Maël Rannou.
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Deux ans après la chute de l’Union soviétique, dans un contexte d’affaiblissement général du mouvement communiste dans l’opinion publique, Pif Gadget disparaît une première fois. À partir des années 2000, des proches du journal L’Humanité essayent à plusieurs reprises de relancer le titre, avec peu de succès. Toutes ces tentatives se terminent par un nouvel échec, après la publication de seulement quelques numéros. Fin 2020, une nouvelle version de Pif Gadget est de nouveau annoncée. À sa tête, un ancien responsable politique… issu du Parti communiste ? Loin de là : le repreneur n’est autre que Frédéric Lefebvre, ancien secrétaire d’État au Commerce sous Nicolas Sarkozy.
Fan de Pif Gadget lorsqu’il était enfant, l’ex-ministre expliquait en 2020 dans une interview publiée sur le site Entreprendre.fr vouloir « mener un triple combat ». « Défendre notre planète, promouvoir une action solidaire et soutenir la cause animale », voilà donc selon lui les trois valeurs défendues dans ce Pif Gadget modernisé sous le nom de Pif, le mag. Une nouvelle formule « qui ne plaira pas à tout le monde », avait prévenu Frédéric Lefebvre. Il n’avait pas tort : la même année, Claude Gendrot, ancien rédacteur en chef de Pif Gadget, regrettait dans Le Monde un projet qui « touche le fond ». « J’y vois même une manière de trahison expliquait celui qui était responsable du célèbre journal entre 1972 et 1980. Pour relancer l’aventure, il faudrait lui donner du sens et, d’abord, réfléchir à ce qu’elle représentait en termes de création. » Pas sûr que l'entretien avec Emmanuel Macron, président libéral, dans un journal que les familles bourgeoises n'achetaient pas à leurs enfants parce que marqué au fer « rouge » aille dans le « sens » que Gendrot souhaitait.
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