ENTRETIEN - Le chef de l'État a accordé un entretien aux lecteurs du magazine pour enfants Pif, le 20 février dernier. Dans un contexte social enflammé, les Français pourraient l'interpréter comme une forme d'évitement, explique David Desgouilles.
David Desgouilles est chroniqueur à Marianne. Il a publié Dérapage (éd. du Rocher, 2017) et Leurs guerres perdues, (éd. du Rocher, 2019).
LE FIGARO. - Emmanuel Macron a répondu aux questions des lecteurs du magazine Pif . Comment interpréter cette opération de communication en pleine colère sociale contre sa réforme des retraites ?
David DESGOUILLES. - Je constate que le président de la République s'adresse à tout le monde, sauf aux actifs. La semaine dernière, il intervenait dans les journaux de 13h, regardés principalement par les retraités. Cette fois, il s'adresse aux enfants. Or, les actifs sont massivement opposés à sa réforme des retraites (93 % dans un sondage récent). Serait-il exagéré d'y voir une stratégie d'évitement ?
J'ajoute qu'Emmanuel Macron s'arrange désormais très souvent pour ne pas avoir une contradiction ferme et résolue en face de lui. L'an dernier, il n'a pas pu éviter le débat traditionnel du second tour dont il savait par ailleurs qu'il y trouverait une Marine Le Pen jouant en défense, échaudée par celui de 2017. Mais il a refusé tout débat pendant la campagne de premier tour. Cet homme plutôt ouvert à la controverse et à l'échange frontal, dans la première partie de sa carrière politique, semble aujourd'hui recroquevillé sur lui-même, évitant d'être mis en difficulté par des personnes hostiles. On pourrait y voir de la prudence ou la volonté de protéger la fonction présidentielle. Mais on peut aussi y voir de la peur, tout simplement.
Aller parler aux enfants, c'est envoyer ce signe que la boucle est bouclée.
David Desgouilles
Vous paraît-elle pertinente ?
Le risque c'est que les Français l'interprètent comme de l'évitement, et de la peur, justement. Voire qu'ils le prennent comme de l'arrogance. Le président de la République, ses ministres, ainsi que les députés de son camp ont été accusés de pratiquer l'infantilisation, notamment pendant la crise sanitaire. Sur le sujet de la réforme des retraites, ils n'ont que le mot « pédagogie » à la bouche, comme s'il était si difficile de faire comprendre leurs nobles projets à une population ignorante, oubliant que le désaccord en toute connaissance de cause fait tout simplement partie du contrat démocratique. Aller parler aux enfants, c'est envoyer ce signe que la boucle est bouclée : «Papa parle aux enfants». Le problème, c'est que cela permet aussi de se souvenir que, contrairement à la plupart des actifs auxquels il refuse de parler, il n'a jamais élevé d'enfants. Le procès en déconnexion de la vie réelle est ainsi alimenté. Clairement, sur le simple plan de la «com'», cette initiative ne me semble pas bienvenue.
Pif, personnage emblématique de la presse jeunesse, a été créé en 1948 par le dessinateur espagnol José Cabrero Arnal pour le quotidien communiste L'Humanité . Picsou magazine aurait-il été plus en phase avec l'ADN macroniste ?
Nul doute qu'Éric Woerth ou l'Inspection des finances ne vous démentiraient pas. Mais la crise sanitaire et le «quoiqu'il en coûte » sont passés par là. Je me demande si Balthazar Picsou aurait validé l'idée de payer les notes fictives des restaurants, cinémas, théâtres et autres magasins « non essentiels » pendant des mois entiers.
Et on pointe là le principal écueil de sa réforme des retraites. La plupart des Français ont très bien constaté qu'Emmanuel Macron savait aller chercher de « l'argent magique » quand il en décrétait la nécessité. Et il va falloir du temps pour le faire oublier.
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